En cet après-midi du samedi 16 mars 2013, la salle était bien remplie pour la table ronde Autobiographie et cinéma organisée à l’occasion de l’Assemblée générale de l’APA. Dans le public nombreux et attentif, on distinguait des visages jeunes, davantage que de coutume en pareille manifestation, sans doute attirés par le thème et le choix des intervenants.
Après l’introduction de Sylvette Dupuy, qui a souligné la tendance cinématographique actuelle faisant la part belle d’une part aux « biopics » et d’autre part aux sujets liés à l’intime, Elisabeth Cépède, Apaïste de la première heure, a brossé un tableau des vingt ans de relations entre l’APA et le cinéma, en se basant sur le dépouillement de La Faute à Rousseau entre 1993 et 2012. Elle a terminé en citant la phrase de Cocteau : « Le cinéma est l’art qui permet de rêver ensemble ».
La parole a ensuite été donnée à deux jeunes cinéastes, Pauline Horovitz et Chloé Mazlo.
La première, qui a commencé des études de philologie à l’École des Chartes, a rapidement changé de voie en entrant à l’École nationale des Arts décoratifs pour s’y consacrer au film et à la bande dessinée. Tout en étant cinéaste en résidence à la Casa Velasquez de Madrid, elle travaille pour Cut up, une revue culturelle produite par Arte. Elle crée des films très courts en se basant sur sa vie, ses parents, sa famille. Drôles et caustiques, bourrés d’autodérision, ces films sont basés sur l’observation de faits réels liés à son vécu ou à celui de ses proches (elle dit ne pas avoir d’imagination) qu’elle retravaille pour les rendre partageables avec une distance amusée. Pauline Horovitz présente un de ses films, intitulé Je garde tout, sur le thème du rapport aux objets et à la séparation.
Chloé Mazlo a fait des études de graphisme à l’École des Arts décoratifs de Strasbourg. Elle réalise des films d’animation « doux-amers » liés à ses expériences de vie (par exemple L’amour m’anime qui raconte ses histoires d’amour ratées) et à sa quête identitaire (Deyrouth). Elle présente ce dernier film qui évoque son voyage au Liban avec ses frères en 2006 : pour le trentième anniversaire de l’arrivée en France de ses parents fuyant la guerre, elle veut découvrir le Liban et rechercher ses racines. Et voilà que justement une nouvelle guerre éclate… Beaucoup de tendresse et d’ironie dans ce film qui permet à Chloé Mazlo de réfléchir sur ses origines.
Changement de style et de génération avec Jean-Louis Le Tacon : âgé de 68 ans, ce cinéaste de métier (il a réalisé entre autres des films pour Arte ainsi que des films de commande) a eu envie, au moment de la retraite, de retourner la caméra vers lui-même. Avec son Smartphone, qu’il appelle son « couteau suisse audiovisuel » ou sa « camera paluche », il relate des événements de sa vie quotidienne à la campagne, en les commentant en direct : il improvise son récit comme un reportage, d’où le titre de deux de ses films, Voilà et Voici , mots qu’il répète souvent dans son commentaire. Comme le dit Jean-Louis Le Tacon, il s’agit de « bricolage filmique », tout comme son travail dans son domaine agricole est du bricolage (construction d’un poulailler par exemple). Il ose se montrer lui-même vivant là, avec sa famille et ses animaux, attentif aux évolutions qu’apporte le quotidien. Il présente son film Voilà, plein d’humour et de malicieuse tendresse.
Jacques Gesternkorn, professeur d’études cinématographiques et auteur de nombreuses publications, n’avait pas la tâche facile après ces présentations si vivantes ! C’est avec beaucoup de finesse et de brio qu’il a relevé le défi : passionné du « Je » au cinéma, il a choisi de parler de ce qui venait d’être montré, de ce riche matériau autobiographique. Il s’est réjoui de voir éclore une nouvelle génération de cinéastes autobiographiques, en montrant combien leurs films touchent pour des raisons qui ne sont pas forcément rationnelles. Il a insisté sur trois composantes essentielles, présentant de brefs exemples filmés à l’appui de sa démonstration :
– Les lieux (Métamorphoses de Jean-Claude Guiguet, qui montre une ville – Thonon – en cadre fixe, regard sur un espace qu’il contemple de l’aube à la nuit, comme s’il le voyait déjà d’ailleurs, comme le chemin bref d’une existence) ;
– L’esthétique du détail, chaque souvenir étant un fragment, comme lorsqu’on arrache un seul objet à un incendie (Pêche mon petit poney par Thomas Riera) ;
– La perspective temporelle (Porto de mon enfance de Manuel de Oliveira, qui montre la maison natale du cinéaste, souvenir flou accompagné d’une berceuse, ainsi que le rappel d’une scène de théâtre ayant profondément marqué la vie de l’auteur).
Après une discussion entre le public et les intervenants, cette riche après-midi s’est terminée par la présentation du très beau film de Georges Perec, Les Lieux d’une fugue (1976).
Compte rendu établi par Chantal de Shoulepnikoff