La mer à Nantes
C’étaient nos 25e Journées ! Et oui, un quart de siècle déjà que l’APA organise ce rendez-vous annuel où, pendant trois jours, se succèdent conférences, ateliers d’information ou d’écriture, films et spectacles, rencontres informelles et moments conviviaux autour d’une thématique et des liens qu’elle entretient avec l’autobiographie.
Un bel anniversaire donc pour des Journées qui innovaient, tant par leur localisation - Nantes était une première - que par leur thématique - La mer et moi. Et l’une naturellement n’était pas indépendante de l’autre, tant cette ville d’estuaire entretient, dans sa géographie comme dans son histoire, de puissants rapports avec l’océan tout proche.
Les équipes organisatrices, nantaise comme parisienne, ont pu craindre un moment le pire : entre inondations, tensions sociales et grèves des transports, les Journées allaient-elles pouvoir se tenir ? Et de fait il y a bien eu quelques difficultés : une quinzaine d’inscrits ont dû annuler leur venue, de même que deux des animateurs d’ateliers ainsi que Björn Larsson, auteur de La Sagesse de la mer, qui devait nous donner une conférence.
Le vendredi, après l’inauguration par Philippe Lejeune, pour l’équipe nationale, Pierre Yvard et Monique Faillenet, pour l’équipe nantaise, nous avons pu assister à une lecture-spectacle, réalisée à partir de textes sur la mer d’écrivains connus mais aussi de déposants, mise en scène et préparée tout au long de l’année par la comédienne Anne-Marie Camus avec une équipe de lectrices du groupe APA de Toulouse.
À la place de la conférence annulée du samedi après-midi, Philippe Lejeune heureusement avait dans sa besace (ou plutôt sur sa clé usb) une ressource insoupçonnée : un diaporama sur La pratique du journal personnel. À partir de photographies de nombreux manuscrits, certains montrés lors de la grande exposition sur le Journal à Lyon en 1997, d’autres exhumés de diverses bibliothèques ou fonds d’archives, dont celui de l’APA, il nous a brossé, avec sa passion et sa verve habituelle, un beau panorama de la question. À défaut d’être très maritime, ce fut pour le public une plongée très appréciée dans ce monde extraordinairement diversifié des journaux personnels.
Le samedi soir, Jean-Yves Legrand est venu présenter son film Zone dépressionnaire, dans lequel il se filme au cours d’une navigation en solitaire dans laquelle soucis personnels et aléas météorologiques se mêlent pour conduire à l’échec du voyage et au retour anticipé. Sa présence a permis ensuite une intéressante discussion sur le travail du filmeur et sur la délicate question de la sincérité dans la mise en scène de soi.
Autre temps fort : le dimanche après-midi, une table-ronde s’est interrogée sur la mer en tant qu’espace social. Elizabeth Legros Chapuis a traité des documents autobiographiques autour du commerce triangulaire et de la traite des Noirs (récits d’esclaves et de négriers), Claudine Krishnan s’est plus particulièrement attachée aux voyages vers l’Extrême-Orient, faisant contraster ceux des administrateurs coloniaux des premières classes avec ceux des travailleurs ou militaires transportés dans des conditions bien différentes, tandis que Véronique Leroux-Hugon s’intéressait aux métiers de la mer, et notamment aux conditions de vie des pêcheurs, tels qu’ils apparaissent dans les textes du fonds de l’APA.
Les matinées, comme à l’habitude, ont permis des rencontres en plus petits groupes dans le cadre d’ateliers, soit d’écriture à partir d’inducteurs évidemment marins, soit d’information : ainsi par exemple Elizabeth Legros Chapuis a présenté un ouvrage sur les correspondances de marins, Michel Malherbe s’est interrogé en philosophe sur notre perception différente de l’espace entre la mer et la montagne, tandis que Dominique et Pierre Laudigeois - animateurs du Festival de La Petite Lanterne à Olonne-sur-Mer - présentaient la démarche de leur film Il était trois fois, interrogation très originale sur la vie d’une famille au travers d’interviews et de films de vacances « à la mer » non conventionnels. Un atelier enfin se tenait « en ville », dans le cadre de la semaine que la Médiathèque Jacques Demy consacrait au thème Parcours en (auto)biographie, afin d’y présenter la démarche de l’APA.
En complément sept cartes blanches – présentations à l’initiative des participants eux-mêmes de certaines de leurs réalisations ou pratiques – ont montré une fois encore la variété et la richesse des pratiques des membres et amis de l’APA : écritures autobiographiques à visée littéraires, poétiques ou thérapeutiques, articulation avec des recherches généalogiques et d’histoire locale, réalisation d’une vidéo à deux voix avec une mère âgée, « making of » du cahier de relecture des textes suisses sur la Seconde Guerre mondiale, etc…
Le vaste parc du centre des Naudières de Rezé où se tenaient les Journées a permis aussi à chacun de se dégourdir les jambes entre les réunions et de profiter de ce qui est toujours un des charmes de nos rencontres, les échanges amicaux et informels, les retrouvailles d’année en année. Et ce, d’autant plus que le temps, médiocre à notre arrivée, est devenu plus agréable au fur à mesure du week-end.
Pour ceux qui pouvaient rester, les Journées se prolongeaient le lundi par une visite dans un bâtiment des anciens chantiers navals, devenu, sous l’impulsion de syndicalistes, Maison des Hommes et des techniques, et lieu de mémoire de l’histoire industrielle de Nantes. Nous y avons été pilotés par un ancien ouvrier chaudronnier, ensuite délégué puis cadre syndical, qui a su articuler de façon très concrètes ses explications à sa propre expérience de vie, tant pour évoquer de façon précise les gestes professionnels des divers métiers, la fierté du travail et l’émotion au moment du lancement des navires, les relations dans l’entreprise et les luttes syndicales.
Et quelques-uns ont même pu, après cette visite, embarquer quelques minutes sur le splendide voilier Belem, accosté à proximité : c’était une belle façon, pour ces Journées finalement très réussies, de lever l’ancre !
Comme tous les ans, le thème des Journées sera repris comme sujet du dossier de La Faute à Rousseau n° 73 d'octobre 2016.